Quelle légitimité donne-t-on à nos souffrances psychologiques et à nos mal-être ?

La vision de la santé mentale et son histoire

Aujourd’hui, il semblerait que notre santé mentale et notre santé physique ne soient toujours pas acceptées de la même manière. Petite précision, dans cet article je parlerai de santé mentale en générale, et non de diagnostics lourds psychiatriques, acceptés et vécus encore différemment, bien que la peur liée à la psychiatrie est influencée la santé mentale tout entière.

Historiquement, nous avons longtemps considéré les personnes en souffrance psychologique, comme « anormales » et en marge de notre société, comme s’il y avait une norme acceptable et que tout ce qui était extérieur à cette « norme » était à bannir. Très longtemps, nous avons caché les personnes dont la santé mentale était incertaine, nous avons gardé le secret sur leur état, caché leur hospitalisation, menti à nos proches ainsi qu’à notre cercle social. Nous en avons créé un tabou !

L’influence de ce tabou sur notre vision de la santé mentale

Ce tabou s’est élargi, a grandi avec le temps et s’est généralisé. Bien que la parole se soit ouverte et que notre époque nous permette aujourd’hui d’alléger le poids psychologique des stéréotypes qui entourent les diagnostics de maladies mentales, la santé mentale en générale n’en reste pas moins empoisonnée par des siècles de tabou. D’ailleurs pour approfondir la question des tabous transmis, la psychogénéalogie nous enseigne des concepts très intéressants, notamment sur le poids des secrets familiaux et des secrets qui se transmettent dans la douleur de générations en générations, et qui finissent par créer de véritables problématiques physiologiques ou psychologiques.

Aujourd’hui, nous avons donc d’un côté les « FORTS » et de l’autre les « FAIBLES » : les sains d’esprit et les vulnérables. Cependant, la science tend à nous montrer la complexité de l’être humain et l’entièreté de ce dernier dans une union corps-esprit. Elle nous rappelle qu’il n’y a pas de limite figée entre être malade et être sain, mais bien un continuum sur lequel nous ne cessons de bouger. Pourtant, malgré ce constat, les difficultés morales, les souffrances et nos émotions continuent à nous bouleverser et à engendrer une lutte terrible contre nos propres états internes. Il y a donc un fossé entre les conclusions scientifiques avérées et ce qui peut encore se jouer à l’échelle individuelle.

Dans ce contexte sociétal actuel, j’observe mes patients et il revient un schéma récurrent dans leur façon de légitimer ou non leurs souffrances psychologiques. Pour mieux comprendre le déroulement de leurs pensées, de leurs questionnements et de leurs émotions, influencés par les tabous et les représentations sociétales et familiales, j’ai tenté d’analyser chaque étape de ce processus, afin d’essayer de donner des clés de compréhension pour se défaire de refus d’acception.

Les pensées et questionnements qui surgissent au départ 

Entre l’anxiété, les troubles paniques, les angoisses chroniques, les burn-out, les dépressions, les coups de « moins-bien », les histoires familiales douloureuses, le sentiment de passer à côté de sa vie et du bonheur…, beaucoup de personnes vivent d’abord un grand sentiment d’incompréhension de ce qui leur arrive. Des sentiments de honte et de culpabilité peuvent les envahir simplement par rapport au fait de traverser ce qu’ils traversent. Et rapidement ils peuvent subir des pensées désagréables telles que :

 » Pourquoi ça m’arrive à moi ? « ,  » Pourquoi maintenant ? « ,  » Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? « ,  » Je suis sensé-e être une personne forte, pourquoi je suis touché-e par cette faiblesse ? « ,  » Je n’ai pas été éduqué-e pour me plaindre, d’habitude je vais toujours de l’avant. « ,  » Qu’est-ce que j’ai mal fait ? « ,  » J’ai tout pour être heureux-se, qu’est ce qui m’arrive ? « ,  » La détresse psychologique n’arrive normalement qu’aux faibles et aux autres. »,  » Je ne suis pas malade, je ne suis pas fou-folle, alors qu’est ce qui se passe ? « 

En parallèle se rajoute des idées telles que :

 » C’est ma faute ! « , « Ce n’est pas juste.  » ou au contraire  » Je le mérite »,  » C’est à cause de mon éducation, de ma famille… « ,  » J’ai un dysfonctionnement personnel. « ,  » C’est un problème de constitution, je suis fait comme ça. « .
Ce sentiment d’incompréhension, se mélange très souvent à de l’inacceptation de nos propres états internes, dû notamment à l’influence de la perception sociétale et familiale de la santé mentale réservée aux  » faibles « , à l’idée que nous sommes invincibles, indestructibles, et que la maladie et la souffrance ne nous toucheront pas.

Les émotions qui en découlent :

En plus de ne pas comprendre et d’avoir beaucoup de mal à accepter ce qui nous arrive, se rajoute beaucoup d’émotions de culpabilité, de peur d’être rejeté ou exclu et d’angoisse face à une hypothétique fatalité de cet état.

Se mettre en action pour ne pas penser à notre souffrance psychologique : un refuge temporaire 

Nous sommes une société de « faire », d’action, qui nous pousse sans cesse dans un mouvement du corps, dans une volonté de rendement, de réussite, d’efficacité. Ce concept de mouvement peut s’élargir aux mouvements de l’esprit : la réflexion, le raisonnement, la mémoire, le langage…, qui mettent en action toute notre matière grise. L’action est liée à la capacité de notre corps à automatiser nos mouvements et nos compétences. Souvent nous entrons même dans une mécanisation du faire où nous sortons de la mentalisation, nous nous déconnectons de nos états internes pour gagner en efficacité pour ne pas « être ralenti.e » par nos émotions et nos pensées.
Cette stratégie peut être efficace sur du très court terme. Sur du long terme, nous accumulons de la charge mentale, de l’énergie cérébrale, des tensions émotionnels, des douleurs physiologiques que nous stockons dans nos mémoires internes et dans notre corps.

Ces mécanismes internes sont dissonants et déchirants 

D’un côté nous avons notre passé, notre histoire commune, les règles implicites de notre société ; et de l’autre, nous avons nos émotions, nos variations d’humeur, notre moral et nos évènements de vie difficiles, légitimes et naturels. Lorsque nous traversons, une souffrance psychologique, notre mental est donc en lutte pour refouler tout ce qui nous appartient, toutes nos variations émotionnelles désagréables, afin de rentrer dans le moule d’une société qui se doit d’aller toujours bien.

L’importance d’être à l’écoute de ses émotions et de les accepter 

En thérapie, à l’image d’une société qui recherche l’efficacité et la rapidité à tout prix, les patients sont souvent en demande d’une solution rapide et miraculeuse pour faire disparaître leurs états internes et être sûrs qu’ils ne reviendront jamais. Cependant, la première étape, et certainement une des plus longues et des plus bénéfiques, consiste d’abord à accepter que la vie humaine est faite d’une variation continuelle d’émotions, et de périodes allant du génialement bien et euphorique, à du extrêmement mal et dépressif. Bien que ces variations soient propres à chacun et fluctuent en termes d’intensité, de durée et de ressentis, elles existent en chacun de nous et nous caractérisent en tant qu’être vivant. Et ce sont elles qui nous guident et nous permettent d’appréhender le monde qui nous entoure.

Pour être en paix avec nous même, pour apaiser et réguler ces variations émotionnelles désagréables, nous devons nous défaire du poids du tabou social, culturel et familial. Nous devons accepter que nos émotions nous traversent pour nous aider à digérer, comprendre, intégrer des évènements de vie : c’est cette étape qui nous permettra de composer avec elles.


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